[Tompson\'s Notary] Rendez-vous d\'affaire

L’hiver venait de se terminer, et le froid qui avait sévi durant ces derniers mois avait laissé place à une douceur inespérée en ce début de printemps. Le soleil était également de la partie, ses rayons se reflétant sur les innombrables tours de verres qui formaient New York City…

A Brooklyn, loin des luxueux gratte-ciels, plus exactement au croisement d’Union Street et de Hoyt Street, se trouvait un cabinet de notariat. En qualité de directeur, et d’unique employé (hormis sa secrétaire), Naev Tompson dirigeait cette agence sans prétention. En ce vendredi 24 mars 2006, il allait voir sa vie prendre un tournant décisif et sans retour possible.






En ce bel après-midi, Naev se trouvait dans son bureau à déjeuner tranquillement avant de retourner à ses affaires. Il engloutissait le sandwich que sa secrétaire lui avait apporté. Celle-ci s’appelait Sofia Rost et travaillait au cabinet depuis le début de l’année seulement. Depuis quelques mois maintenant les affaires allaient bon train, comme jamais auparavant, et c’est pourquoi Naev avait engagé une secrétaire qui lui était vite devenue indispensable pour classer et ordonner les différents dossiers qu’il était amené à traiter. Le capharnaüm qui caractérisait ses archives n’était plus qu’un lointain souvenir.

Sofia était une jeune femme brillante de vingt cinq ans, quoiqu’un peu naïve, qui menait de front son boulot et des études de droits avec une efficacité indéniable. Et puis elle était mignonne, ce qui ne gâchait rien. Résolument, Naev avait prit une bonne décision le jour où il l’avait engagé. En même temps, cette rencontre n’était pas le fruit du hasard car Sofia était ni plus ni moins que la nièce du principal client du cabinet : Leonid Gorban. C’était à ce même homme que Naev devait les nombreuses affaires qui lui avaient apporté ces commissions si juteuses ces derniers temps. Après, le fait de savoir que l’homme faisait partie de la "Mafia Rouge" ne le concernait pas directement…

Certes, tout n’était pas très légal mais le bénéfice était au rendez vous et les finances au beau fixe, comme en témoignaient le bureau en merisier, sur lequel les pieds de Naev étaient posés, et surtout les nouveaux locaux du cabinet. Au revoir les quartiers où les clients n’osaient même pas s’aventurer ! Dorénavant, de sa fenêtre, il avait une vue sur l’Eglise St Agnès qui était non loin de là. Cela le changeait des ordures qui constituaient son panorama il n’y a pas si longtemps encore.

…Son déjeuner achevé, Naev n’avait plus qu’a attendre Leonid avec qui il avait un rendez-vous imminent. A sa plus grande satisfaction, ce dernier venait pour régler une nouvelle affaire, encore !

Décidément, tout allait pour le mieux.

Le "merci" que prononca Naev à l'encontre de sa secrétaire qui venait lui apporter un café était agrémenté d'arrières-pensées ressemblant à "c'est le pied !".
Un petit instant de bonheur, de joie, de gratification personnelle. Il se disait que finalement le travail, son travail, payait, et qu'il n'y avait donc pas de hasards. Pas de hasards... Naev s'accordait à penser au fond de lui-même que ce n'était pas tout à fait exact... Il s'avouait qu'au bien-être qu'il goûtait à présent, Gorban, Leonid Gorban, n'y était pas totalement étranger.


Mais quand même, quel beau bureau ! Avec plein de rangements ! Naev ouvrit le tiroir du bas, "parfait pour y ranger les meilleures affaires" murmura t'il en tirant une bouteille de rhum ambré parmis tous les autres alcools que contenait le tiroir. Il en agrémenta son café. Seulement, il ne faudrait pas que sa secretaire ne vienne à ranger également les tiroirs de son bureau, auquel cas il serait certain de passer pour un misérable alcoolique à ses yeux. Naev avait sa fierté, il se méfiait des gosses de riches qui se mettaient à le toiser de haut dès qu'il montrait un signe de faiblesse, il n'aimait pas cela.


"Après tout, se dit il, à chacun sa façon d'améliorer sa productivité.". Il but son café.

"Quel cul quand même", pensa t'il, en regardant sa charmante secrétaire en mini-juppe serrer les jambes et se baisser afin de ramasser un papier. Ces choses là n'étaient plus de son âge, il avait d'autres souçis pour ne pas se permettre d'y ajouter des histoires de fesses. Cette fille était bien, travailleuse, sérieuse, c'était une bonne idée de l'engager. Enfin... une bonne idée... engager la nièce du principal client... En quelques sortes, l'engager revenait à se lier un peu plus à lui. C'était certe un gage de confiance, de sérieux, mais aussi, quelque part, un lien de dépendance vis à vis de Gorban. Il frémit à penser que s'il venait à perdre Gorban, il n'aurait plus rien.

"Mlle Rost, Mister Gorban va arriver pour son rendez-vous. Pourriez vous de nouveau préparer du café s'il vous plait ?"

Naev se mit à songer. Il connaissait mal Brooklyn, et d'Union Street il n'avait visité que la supérette en bas du bureau. Il se promis, à l'avenir, de prendre un peu de temps pour mieux connaître ce nouveau quartier...

A peine un quart d’heure plus tard, Leonid Gorban était arrivé au cabinet. Comme à l’accoutumée, les deux gorilles qui l’accompagnaient partout où il se rendait étaient pour leur part restés dans la salle d’attente en compagnie de Sofia. Leonid se trouvait maintenant dans le bureau de Naev à dégusté à ses côtés le café que sa nièce avait préparé. Il y avait également avec eux un vieil homme d’une bonne soixantaine d’années, au regard fuyant, qui se nommait Namir Schulman. Ce dernier était au cœur de l’affaire qui allait être traitée.

Le vieillard était propriétaire d’une importante épicerie située à plusieurs blocs d’ici, à l’angle d’Atlantic Avenue et du Brooklyn Bridge Boulevard. L’âge le rattrapant, la concurrence se faisant de plus en plus hargneuse et le marché étant ce qu’il était, bref : Schulman avait décidé de faire bénéficier son magasin d’un essor considérable. C’était pourquoi il avait décidé de confier la moitié des parts de son entreprise familiale à Mr Gorban en les lui vendant, ou plus exactement à l’une des sociétés pour laquelle ce dernier travaillait (à moins que ça ne soit l’inverse).
C’était d’ailleurs Leonid qui, tout sourire, venait d’énoncer l’affaire. Schulman, lui, semblait souffrir d’une timidité maladive. Hormis les présentations d’usage, il n’avait pas pipé mot depuis qu’il était dans le bureau.

_ "… Et c’est donc là que vous entrez en scène mon cher Naev" conclut Leonid avant de s’emparer de la serviette en cuir qui se trouvait à ses pieds. Il en sortit un dossier qui comprenait de nombreuses feuilles volantes et qu’il tendit à Naev. "Tout y est, vous n’avez plus qu’à apposer votre signature Maître."

Et effectivement tout était là : Tous les formulaires nécessaires, paraphés de la signature de Schulman et de celle du responsable de la société de Gorban. Restait à Naev, en tant qu’expert de l’equity, à officialiser tout ça et à produire le document qui finaliserait la transaction. Tout ça était légal, même si c’était difficile à croire lorsqu’on voyait le prix dérisoire auquel le vieux Schulman cédait les parts de son magasin. Alors qu’il compulsait le dossier, Naev pouvait se réjouir de ne pas être "uniquement" payé à la commission.

Le vieil homme, quant à lui, était recroquevillé sur lui-même et tremblait de toutes parts alors qu’il ne quittait pas ses chaussures des yeux. Juste à côté, Leonid était plein d’assurance. Agé d’une quarantaine d’année, le personnage était pour le moins intimidant car il avait tout du parfait militaire, à l’exception du treillis qu’il avait échangé contre un élégant costume.

_ "Alors Naev, tout est en ordre n’est-ce pas ?" lui demanda sereinement Leonid, tout en le fixant de ses yeux gris.

 Le regards fixé de Gorban lui fit monter un mot à l'esprit: "coercition". Naev baissa légèrement les yeux, un réflexe de la honte, pour regarder plus vaguement son client. Un second mot lui vint: "prédateur". Il observa Schulman et crut se reconnaître en lui un instant.

N'osant pas répondre à Gorban dans les yeux, c'est en regardant Schulman qu'il enchaina lentement:

"- Absolument Monsieur Gorban. Tout est en règle, je ne vois rien à opposer à la transaction."

Puis d'un geste délicat il se saisit de son stylo, se pencha sur les documents, et racontait machinalement tout en les signant un à un:

"- Vous faites une bonne affaire Monsieur Schulman. Je crois connaître suffisament les qualités de Monsieur Gorban pour pouvoir affirmer que celui-ci redressera votre affaire d'une main de maître. Sa valeur augmentera de nouveau, et à ce que je vois, les parts qui vous restent vous permettrons de bénéficier largement des futures plus-values."

... un discours préconstruit qu'on apprenait à la faculté et qui permettait, outre le coté commercial, de se donner bonne conscience.

Une fois les documents signés, plusieurs bruits sourds ponctuèrent les aller-retours du tampon entre l'encrier et les documents. Naev rangea ensuite les papiers, et referma le dossier, avant de le poser en direction de ses interlocuteurs: sourire de circonstance ! Il se retourna, se saisit d'une petite boite en bois, l'ouvrit découvrant ainsi un rangée de cigares qu'il tendit à l'attention de ses clients.

"- Messieurs, permettez que je vous offre quelques cigares, afin de marquer l'évènement. Monsieur Schulman, faites vous plaisir !" insista Naev.

Les trois personnages fumèrent donc leur cigare tranquillement, du moins pour deux d’entre eux.

Durant la petite demi-heure qui suivit, Gorban parla de divers projets à Naev, tel que le réaménagement urbain des environs, même si c’était plus pour meubler la conversation qu’autre chose. Il alla d’ailleurs jusqu’à demander l’avis de Schulman quant à ces éventuels investissements. Ce fut là les seuls mots que le vieillard prononça, trop intimidé qu’il était. Leonid demanda ensuite des nouvelles de sa nièce. Ne tarissant pas d’éloges à son propos, il assura au notaire qu’il ne regretterait pas de l’avoir embauchée. Enfin, Gorban finit par laisser Tompson à ses occupations, non sans l’avoir invité à venir plus souvent au "club" où on le voyait selon lui trop rarement. Schulman lui emboîta le pas, l’air abattu.

Naev se retrouva seul dans son bureau. C’était à peine le milieu de l’après-midi et il avait déjà fini sa journée de boulot. Quand on bossait avec quelqu'un comme Gorban, les affaires devenaient si juteuses qu’il n’était plus nécessaire de traiter une pléiade de dossiers pour joindre les deux bouts. Fort de la fortune qui lui souriait, Naev alla s’allonger sur le divan en cuir qui trônait dans son bureau pour y piquer une petite sieste. En s’empaffant, il pensa au "club" où Leonid l’avait invité, situé dans Brighton Beach, ou Little Odessa. Le club en question était un endroit très V.I.P., où on jouissait de toute les attentions quand on était dans les bonnes grâces… des bonnes personnes. Naev finit donc par s’endormir, la tête pleine d’agréables pensées, dont certaines libidineuses…

*CRAAACK*

… Avant d’être réveillé deux bonnes heures plus tard en catastrophe, par le bruit que fit la porte de son cabinet quand quelqu’un la défonça ! Vaseux, Naev vit à travers les stores de son bureau qu’un type armé d’une batte de baseball venait de débouler chez lui. Le gus avait l’air enragé.

_ "Montre-toi enfoiré !!" vociféra l’intrus en saccageant le secrétariat en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Heureusement, Naev avait donné congé à Sophia avant d’aller roupiller. Mais cela ne réglait pas le problème de sa propre sécurité, d’autant plus que le forcené se dirigeait tout droit vers son bureau !