Showdown at the Shaggy Club

L'heure est venue, le rideau va bientôt se lever. Cette heure que le Molosse a tant attendue est enfin arrivée. Les yeux fermés, sentant chaque battement de son coeur, il est courbé au dessus de la petite table de cuisine de l'appartement de Michelle, son semi-automatique lourd démantelé, nettoyé, astiqué, chaque balle précautioneusement choisie et pôlie pour une parfaite pénetration dans l'air. Son esprit tout entier est concentré sur la confrontation imminente qui signera sa postérité dans le Bronx et montrera à tous qui il est.

Même les souvenirs de ses nuits torrides avec Michelle qui l'a gardé chez elle depuis dimanche semblent comme des rèves maintenant. Il a fait le vide dans son esprit. Seuls le cliquetis des armes de ses partenaires sont enregistrés par son esprit : Michelle chargeant un fusil à pompe, et Irvine, un des amis de Michelle, désigné par cette dernière comme référent des gars qu'elle a engagé, passant des gants de cuir, son revolver lourd posé sur un plan de travail.

Le plan a été vu et revu cent fois, mais tout de même, alors qu'ils s'apprêtent à partir, ils vont se le répéter une dernière fois. Heinrich ré-assemble son arme, remplit son chargeur qu'il enfourne dans sa crosse d'un coup de paume sec puis tire sur la culasse. Un immense sentiment de puissance, d'invincibilité même, s'empare de lui. Il pose un oeil fier sur ses compagnons. Michelle, la belle impitoyable, Irvine l'armoire à glace. Il repense en même temps à Mahaka, la puissance et le calme incarnés, et à ses frères et soeurs, tous des tueurs nés ne demandant qu'à être lachés.

Le Molosse, Irvine et Michelle se mettent autour de la table. Mahaka est au bout du fil, ses gars sont tous en place. Ils n'attendent plus que la dernière répétition du plan et le signal du Molosse.

Fier, c’était le mot juste. Et malgré ce sentiment qui semblait devenir disproportionné au fur et à mesure des évènements, le jeune homme n’en perdit pas sa concentration. Son flingue était le seul garant de sa vie. Et chacun de ses hommes était un rouage qui devait connaître son rôle par cœur.

Dans ce quartier, dans cette partie de new York, dans le Bronx, il n’y avait qu’une seule loi : celle du plus fort. Le Molosse comptait bien être tout en haut de la chaîne alimentaire, et même si il connaissait peu l’armoire à glace qui était dans la même pièce que lui, il semblait parfait pour faire partie du « premier » groupe, ‘section violence‘.

Plus qu’une nouvelle place, Heinrich avait créé ce plan car il était fait pour être chef, pour être suivi. Il ne parlait plus, il ne souriait plus, le seul regard qu’il montrait était celui du tueur qu’il pouvait être, celui du prédateur qui dormait au fond de lui, et, pourtant, lui donnait la force d’agir comme il le faisait.

L’heure approchait, chaque battement de cœur avait l’effet d’un métronome, et le concert approchait, le moment où les balles chanteraient au rythme des canons. Rien n’avait plus d’importance pour le jeune homme, sinon son but. Et Michelle avait prouvé au Molosse que bien du monde était prêt à le suivre.

« - Bon, voici le plan encore une fois. Mahaka, vous allez vous poster dans le bar. Quand je rentrerais dans la cave avec mon groupe, vous comptez trente secondes, le temps que je permette à ceux qui le veulent de me suivre. Michelle, moi, Irvine et le reste du groupe descendra avec moi. Une fois que Mahaka rentre avec ses hommes, vous tirez sous deux conditions : soit sur ceux qui ouvrent le feu contre nous, soit sous mes ordres et là, c’est dans le tas.
Deux hommes de Mahaka attendrons par la sortie de derrière. Si quelqu’un tente de sortir, vous le buttez. Tout vous semble clair? »

Le jeune homme regarda Dante. Lui aussi allait devoir se battre, mais inutile de lui donner un plan, ce chien était déjà dressé pour défendre son maître et c’était largement suffisant. Une fois que tout le monde aura donné son accord, les battements de cœur du Molosse seront la seule mélodie qu’il entendra. Laisser une chance à ceux qui le voulaient, c’était la seule dose d’humanité qu’il allait avoir pendant les prochaines heures

Les alliés du Molosse lui font signe qu'ils sont au point. Irvine range son flingue dans un holster sous sa veste usée, Michelle passe un imper sous lequel elle a calé son fusil à pompe. Dans le portable d'Heinrich mis en mains libres, la voix de Mahaka retentit :

- Nous allons prendre nos positions. La communication sera coupée d'ici au coup. Nous nous reverrons à la victoire. Bonne chance à vous, frères chasseurs.

La ligne est coupée puis plus rien, l'attente.

Il est des minutes longues comme des jours, des éternités qui se tassent dans quelques heures d'attente. Chacun des membres de l'équipe de tête le ressent en lui.

Finalement, l'heure vient et les trois compagnons silencieux se jettent un dernier regard d'acier avant de sortir. La fraicheur de la soirée les accueille, appaisant le sang qui bouillonne dans leurs veines. Ils traversent les ruelles sales et glauques du quartier décrépit et débouche finalement devant le Shaggy Club. Le lieu lui-même semble être sous pression. La tension semble prête à arracher ses portes et à démolir ses murs. Car c'est là que tout se joue ce soir, là que la guerilla va commencer et finir en une violente bataille.

Les potes de Michelle les rejoignent, ils sont maintenant une bonne dizaine, tous armés jusqu'aux dents, leurs armes dissimulées sous des longs imperméables. Tous ensemble, ils attendent le signal du Molosse.

Le chemin fut certainement le plus long qu’ai jamais parcouru Le Molosse. Tellement de pensées se tordaient dans son crâne, en proie à une sorte de chaos violent et incontrôlable. Chaque goûte d’eau était prise comme un signal d’alerte, chaque bruissement de feuille, chaque clochard qui se retournait dans son sac de couchage.

Bref, tout les sens du jeune homme semblaient exacerbés, tout était prêt et, pourtant, l’instinct de survie continuait de prévoir d’autres alternatives possibles. Maintenant que le plan était répété, personne ne pouvait faire marche arrière, et c’est en se disant cela que Le Molosse avança dans la rue, accélérant le pas d’une façon qui aurait pu surprendre ses partenaires.

Arrivé devant le club, Heinrich pu voir du monde approcher, une dizaine, tous armés pour faire la guerre - Voila qui était parfait. Se tournant vers le groupe, le jeune homme les dévisagea un à un, sans faire d’exception.

« - Aujourd’hui, vous êtes ma troupe de choc. Vous êtes ceux qui ferons régner la Loi de la Meute, notre Meute. Je compte sur vous pour prouver à quel point je peu compter sur vos compétences. »

Le jeune homme regarda particulièrement Irvine en disant cela. Si Michelle lui faisait confiance, le jeune homme pourrait lui laisser une chance.

« - Allons-y. Ne tirez que si je vous le dit, ou si quelqu’un tire avant vous. Dans ce cas, vous pourrez le descendre. »

Poussant la porte du club, le jeune homme entra. Son plan était simple, et pourtant il y avait longtemps réfléchis. Réfléchis à toutes les retombés que cela allait avoir : Il serait bientôt le maître du Bronx, incontesté, et sa Meute, sa Famille, vivrait dans une paix relative, mais pas illusoire.

Si le bar est calme, Heinrich ne prendra pas le temps de s’attarder, et descendra dans la cave avec ses hommes.

Heinrich entre dans le bar avec son armée. Répartis sur trois tables, les soldats de Mahaka sont là, buvant ou jouant aux cartes, comme si de rien n'était. La seule personne qui réagisse à l'arrivée du Molosse est le patron debout derrière le bar qui reconnaît l'éclat dans l'oeil du jeune homme, un visage de tueur. Mais il ne bouge pas. Il incline la tête ; son attitude montre qu'il ne lui fallait pas grand chose pour changer de bord.

Heinrich descend au sous-sol son armada sur les talons. Ils se déploient vite, arme au poing. Un cri ou deux, un tire en l'air, un signe de la main de Key et la salle semble cesser de respirer. Le temps s'arrête et chaque âme présente dans ce bouge reste comme en suspend, attendant leur sentence que cet homme féroce est sur le point de prononcer.

Une fois rentré dans le bar, l’ambiance se fit plus pesante. La pression augmentait, et seuls les hommes de Mahaka, dans un soucis de discrétion, n’avaient pas rivés leurs yeux sur le jeune homme. Le barman, lui, c’était contenté d’acquiescer. Le Molosse lui avait fait un signe de tête, pour lui assurer qu’il avait fait le bon choix.

Descendant dans les caves, le jeune homme sorti son arme et ouvrit la porte. Tout le monde se déploya comme prévu, un tir brisa la « silence » relatif qui c’était installé dans le crâne du jeune homme, faisant bondir son instinct.
Heinrich regarda son arme, puis les gens en face de lui, avant de déclarer ce qu’il avait à dire. Après tout, il n’avait qu’une trentaine de secondes avant que Mahaka rapplique avec des hommes.

« - Vous êtes pris au piège. Les Black Dogs ne sont plus les bienvenus ici. Ils ne font que pomper l’argent des gars comme nous qui font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir. C’est pour ça que Le Molosse, à partir de maintenant, créé officiellement sa meute. Je n’ai pas de long discours à faire, sa sera toujours la merde quelque soit le choix que vous ferez, mais avec moi, vous bosserez pour quelqu’un de sincère, qui n’oublie pas les service qu’on lui rend. Alors à vous le choix. Soi, ce soir, vous défendez ces putains des blacks dogs et vous crevez, soit vous rejoignez ma Meute, et vous serez les premiers dans un gang qui sera bientôt le plus respecté du Bronx. »

Le jeune homme avait essayé d’être le plus convainquant possible, bien que son ton soit plutôt celui de la menace à cause de son état. Il espérait quand même, au fond de lui, que des gens allaient le rejoindre maintenant

Un silence intense de quelques secondes s'installe dans la pièce. La plupart des gros bras ont les doigts crispés, prêts à plonger la main dans leurs dos pour en tirer leurs flingues. D'autres sont tiraillés entre leur ancienne allégeance et les canons pointés sur eux. Les boss, quand à eux, Key, Black Jack et Jose, affichent une mine de haine calme et silencieuse, leur expression trahissant leur pensée : "Tu nous as bien baisé mon salaud !"

C'est à ce moment là, alors que le Molosse attend la réaction de ses anciens frères de gang, alors que les premiers pas se font entendre dans les escaliers derrière lui et que la première vague de colosses de Mahaka prend place derrière lui, que tout s'effondre.

Tout commence avec un violent bruit de verre brisé ainsi qu'une rafale de coups de feu. Suivent des voix criant "Freeze !" presque couvertes par des rugissements bestiaux semblant sortir de partout, rebondissant contre les murs et agressant les sens de tous ceux présents.

Heinrich sent la panique s'emparer de lui et sa vision se brouiller. Il voit des coups de feu partir dans tous les sens, la porte de derrière voler en éclat, traversée par un corps vêtu de noir portant un casque et un pare-balle : un membre des SWATs.

Heinrich est plaqué au sol par une force trop grande pour que ses jambes flageolantes ne le soutiennent. C'est le carnage dans la pièce, les rafales de balles sifflent, boyaux et vicères volent, le sang se répend par flaques au milieu des hurlements, sans doute des chiens se dira ensuite Heinrich, mais de quelle race dressée à tuer ? Il ne préfère pas y penser.

Puis c'est le noir complet. Un coup sur la tête ? La panique ? La terreur ? Pas moyen de savoir. Les bruits du carnage continuent d'atteindre ses oreilles quelques secondes avant de lui donner l'impression de s'éloigner peu à peu jusqu'au vide complet, qui s'emplit vite d'un affreux sentiment glacé dans son estomac : il a échoué.